Sunday 31 January 2010

Chapitre 1

Comme chaque veille de Noёl, la maîtresse, ce jour-là nous avait libérés avant la fin de la journée et je rentrais à la maison bien plus tôt que d’habitude. Mon retour en pleine heure de sieste devait passer inaperçu puisque mes parents travaillaient et la maison était vide. Mais en entrant dans la cour, je surpris notre Coq qui s’entraînait en vocalises. Il est vrai que recemment, il s’exerçait à tout bout de champs et chantait même la nuit! Le pauvre sursauta si fort que sa gamme dérailla et je me sentis soufflé par l’ouragan de sa voix vers le fond de la basse-cour !

Lorsque je repris mes esprits, allongé entre les poules qui caquetaient tant qu’elles pouvaient, j’avais tellement rapetissé que je ne dépassais pas une des tiges de jasmin qui poussaient dans le buissson. Le Coq repoussa ses poules qui s’affairaient autour de moi en marmonnant dans leurs plumes :

« Aïe ! Il s’est encore trompé ! A force de s’écouter parler il va tout nous chambouler ! Si le petit reste petit, qui va nous donner à manger ?!» Le Coq m’attrapa dans son bec, me dégagea du buisson et me posa devant lui. Il avait l’air très ennuyé avec sa lourde crête rouge qui basculait de gauche à droite pendant qu’il m’étudiait !

« Attends voir ... était-ce plutôt Cocoricui ? (je rétrecissais d’un coup!) ou bien, voyons Cocoriqui ? ...décidemment, il va falloir le retrouver ! On a pourtant bien cherché! Il ne faut pas vous arrêter, mesdames, allons, allons, du nerf, cherchez !» claironna-t-il en s’adressant à ses poules. Celles-ci se mirent à gratter ici et là dans la cour en maugréant de plus belle:

« Lui et ses cours de magie ! Voilà qu’il a perdu l’Esprit ! M’est avis que son Esprit a pris ses jambes à son cou ! Pauvres de nous si le petit reste petit ! » Petit était bien le mot, car plus le coq avait tenté de corriger ses formules, plus j’avais rapetissé ! Et je finissais assis sur mon derrière, aussi petit qu’une gousse de vanille !

“Pardonne-moi, Petit Téva” s’excusa le Coq, “Mais tu m’as fait tellement peur que j’ai du faire une erreur ! Je voudrais bien pouvoir t’aider à retrouver ta taille normale, car je suis Enchanteur, à mes heures, mais mon Esprit s’est égaré. Sans Lui, pour me corriger, je ne ferai que me tromper! »

Je ne comprenais rien à ce qu’il racontait!

“Alors, je vais rester petit?”

“Pas forcémment: il va falloir Le retrouver!”

Ainsi, il fallait que je retrouve un Esprit! Mais, en attendant, je préférais attendre mes parents. Peut-être que eux pourraient m’aider à retrouver ma taille normale?

Je me retournai, prêt à rentrer à la maison, quand une bande de Vinis*(voir glossaire à la fin du chapitre)atterrit tout autour de moi.

“Dépêchez-vous! Dépêchez-vous!” criait leur chef, “ Le vent va nous emporter! Prenez ce que vous pouvez et repartons vers la forêt!”

En effet, un vent violent se mit alors à souffler et je fus entraîné sur le gravier avec les feuilles et la poussière.

Si les Vinis s’envolèrent, leur chef, lui resta en arrière:

“Viens! Accroche-toi à moi!” me cria-t-il dans le vent terrible, tandis que ses plumes s’ébouriffaient dans tous les sens.

Je sautais sur son dos sans réfléchir et m’accrochais à ses plumes tandis que nous nous élevions dans les airs, en luttant contre les hurlements du vent de la montagne.

“Tiens-toi bien, Petit! Nous allons essayer de nous poser sur le toit!”
A peine avait-il viré vers la maison que le vent détachait la lanterne chinoise de l’entrée et la jetait sur nous! Nous nous retrouvions précipités à l’intèrieur de la grosse boule de soie rouge et enlevés dans le sillage du Maramú * (voir glossaire à la fin du chapitre)!

“Oùùùùùù a-t-il bien pu passer?” demandait le vent sans arrêt,
Il ouvrait les placards, les tiroirs, regardait derrière les armoires.

“Que cherche-t-il?” demandais-je en criant
“Un cerf-volant! Il cherche un cerf-volant!” s’égosilla le Vini.

A ces mots, le Maramú se redressa.

En apercevant notre belle lanterne toute ronde et légère, il poussa des cris de joie et, tendant les bras, il nous emporta dans un tourbillon vers l’immensité du ciel.

( à suivre )

*Vini:Tout petit oiseau de Polynésie. Il vole toujours en groupe.
Son ventre est rouge au niveau de la queue. Il y en a dans
tous les fourrés d’hibiscus dans notre jardin…


* Maramú: vent très violent qui souffle de la montagne.

Chapitre 2

Effrayés, nous voyions la terre s’éloigner à une vitesse vertigineuse!

Notre île est devenue toute petite, entourée du bleu turquoise du lagon et de l’océan infini.

“N’aie pas peur!” essaya d’articuler le Vini, balloté dans tous les sens, “Dès que nous serons assez hauts, le vent se calmera!”

En attendant, nous tombions l’un sur l’autre, au grand risque de passer par l’échancrure qui s’ouvrait à nos pieds pour aller nous écraser tout en bas, dans l’océan!

Mais le Vini avait raison: Bientôt, notre monture se calma et, penchés au bord de l’ouverture, nous pûmes admirer les îles. Elles brillaient comme des nacres sur le miroir de la mer.

“Je te connais bien” dit tout à coup le Vini “Tu es le petit garçon qui nous a construit un nid avec un coco!” Je n’eus pas le temps de répondre qu’il reprenait déjà:

“Je suis au courant du sort que le Coq t’a jeté. Le pauvre, il n’a pas fait exprès. Mais je t’aiderai à retrouver ta taille normale… ainsi tu pourras nous construire d’autres nids!” fit-il en me lançant un clin d’oeil.

J’allais le remercier, lorsque je fus précipité dans l’ouverture! De toutes mes forces, je me raccrochais au bord pendant que le Vini tirait sur ma chemise.

La lanterne tournait à toute vitesse sur elle-même et plongeait vers l’océan.

Le vent était tombé, mais nous aussi, nous tombions avec lui!

Dans un suprême effort et surtout grâce à son courage, le Vini réussit enfin à me tirer à lui et, d’un coup, il me hissa à l’intèrieur de la lanterne!

Il était temps!

Serrés tous deux l’un contre l’autre, les yeux agrandis par la peur, nous entendîmes un grand fracas de branches et de feuilles qui se cassaient sur notre passage.

Enfin, la lanterne s’immobilisa.

Nous l’avions échappé belle, nous n’avions rien de cassé et, mis à part une tige de bambou brisée, un peu de papier de soie froissé, la lanterne était indemne!

Du dehors, nous parvenaient des cliquetis de coquillages, espacés par le roulement léger du ressac.

Il me restait assez de forces pour écarter les fougères qui recouvraient l’entrée: Une immense plage de sable blanc se déroulait à perte de vue et du récif, pourtant tout proche, s’élevait à peine un murmure.

Nous avions atterri sur une île inconnue…

(à suivre)

Chapitre 6

La murène, car c’était chez elle qu’on allait, la murène avait sa maison tout au fond du quartier, d’une galerie pleine de tourbillons et de courants contraires qui s’échappaient de tous côtés!

L’endroit était terrifiant, surtout l’orsqu’on savait qu’une murène y dormait!

Mais quelle ne fut ma surprise en découvrant son repaire:

La galerie s’arrondissait et par une fissure dans la pierre, une grosse anémone jetait ses reflets roses et verts sur la vieille murène grise qui souriait en dormant!

Il fallut la réveiller pour nous mettre au travail. Ses dents étaient autrement plus pointues que celles du Ro’I et je dus éviter plusieurs fois d’être mordu car la vieille dame était exquise mais elle riait tout le temps!

Des fous rires la prenaient, que je sus bientôt reconnaître par le grand tremblement qui la secouait juste avant!

Elle et la crevette s’entendaient comme des copines, aussi je les laissais rigoler et travaillais de mon côté.

Je finissais d’astiquer une molaire, lorsqu’un mouvement imperceptible attira mon attention!

Une bestiole se cachait là! Il fallait la virer!

Je me mis à sa recherche, sautant d’un côté, dérapant de l’autre, agrippant la dent des deux mains pour lutter contre le courant qui s’obstinait à m’entraîner.

Soudain, un petit oeil tout rond sort de derrière, disparaît, essaye encore de m’observer! Je bondis et je m’affale sur un petit crabe, pas plus gros que moi!

“Laisse-moi! Laisse-moi! Je ne fais rien de mal ici, laisse-moi, je t’en prie!”

Il avait tellement l’air affolé que j’allais me laisser convaincre, lorsque la crevette grommela derrière mon épaule:

“Tsss! Encore lui! Il n’y a rien à faire: j’ai eu beau lui expliquer qu’ici il est prisonnier, il ne veut pas s’échapper ! Remarque que moi aussi, je me cacherais à tous prix si le Coq du poulailler comptait sur moi pour penser!”

Je restais sans voix! Ainsi, j’avais retrouvé l’esprit du Coq, mais je savais déjà que je n’aurais pas le coeur de déloger le petit crabe…

Rapidement, je lui exposai mon histoire, tandis que la crevette, médusée, avait carrément suspendu son travail.

Et quelque chose me disait que la murène, elle-même nous écoutait, la bouche grande ouverte.

“…alors, il faut que tu remontes avec moi, Petit Crabe”

« C’est vite dit ! » fit tout bas la crevette dans mon dos. « Ces deux-là n’arrêtent pas de rigoler toute la journée ! Ils ne veulent plus se quitter ! »

C’était une drôle d’histoire d’amour ! En attendant, il me fallait trouver une solution pour ramener son Esprit au coq et retrouver ma taille normale !

« Le seul moyen de le sortir de là » continua la crevette « c’est de la faire rire aux éclats mais dès qu’elle le sent délogé, elle serre les dents ! Il faut admettre qu’il est d’un drôle ! »

« Bref » repris-je, agacé « C’est un esprit qui a beaucoup d’esprit!”

A ces mots, un tremblement partit du fond de la murène et se mit à tout secouer !

« Attention ! » hurla la crevette « Accroche-toi !»

Je m’agrippais comme je pouvais aux machoires de la murène pour ne pas être ejecté alors qu’enchantée, elle riait à gorge déployée ! Mais elle se tût aussitôt, passa son enorme langue contre sa dernière dent pour s’assurer que le crabe était toujours son invité. Alors, il me vint une idée folle. C’était la seule qui marcherait. Je mis la crevette au courant et attendis que la murène finalement rassurée desserra ses maxillaires. Puis je me glissais dehors. Je nageais sous son cou et m’afferais à l’astiquer :

« Vous allez être très jolie après mon coup de chiffon ! »

Lentement, je m’approchais de ses branchies. C’était sans doute là l’endroit le plus sensible. Je m’y agrippais des pieds tandis que je la chatouillais à tour de bras, sans m’arrêter. Passé l’instant de surprise, la murène explosa de rire, se tordant comme une anguille et hoquetant « Assez ! Assez ! » jusqu’à ce que le petit crabe soit éjecté comme un boulet.

“Voilà! C’est malin!” cria-t-il, furieux. En l’entendant, la murène fit jaillir son corps enorme des rochers qui l’abritaient et me fixa méchament en faisant grincer ses dents ! Heureusement, mon amie crevette réagit au même instant : elle se mit à remuer derrière sa dernière molaire, faisant croire à la murène que son ami était toujours dans sa bouche. Il n’en fallut pas d’avantage pour qu’elle retrouve sa bonne humeur et qu’elle regagne son abri.

« Le délicieux petit coquin ! Il a des doigts de magicien : je n’ai jamais autant ri ! »

Et ce furent les derniers mots que j’entendis avant d’être propulsé à la surface de la mer.

(à suivre)

Saturday 30 January 2010

chapitre 3

Tout scintillait sur le lagon. Après le passage du Maramú, la mer avait retrouvé son calme et les vagues, au lieu de se briser sur le rivage, couraient joyeusement sur le sable.

“Il reste peu de temps jusqu’au coucher du soleil” constata le Vini en étudiant les arbres, “Allons chercher à manger! On se retrouvera ici pour dormir.”

Sur ces mots, il s’envola vers l’intèrieur de l’île tandis que je me laissais tomber sur le sable.

Bien qu’accueillante, cette plage me semblait démesurée et je n’osais pas trop m’y aventurer… encore moins y chercher à manger et risquer de fâcher un crabe ou un merle, qui sait?

“Pousse-toi, Petit! Tu ne vois pas que tu me bloques le passage?”

Qui pouvait donc être ce grossier personnage? La plage était assez grande pour ne pas avoir à me bousculer!

Je fis volte-face, prêt à lui dire ma manière de penser et me retrouvai nez à nez avec deux enormes yeux globuleux qui me louchaient dessus! Le reste de l’individu était enfoui dans une carapace orange et se terminait par un dispositif mécanique très compliqué!

“Allons, mais pousse-toi voyions!C’est occupé ici, ou bien?”

Un Bernard L’Hermite! Cette grosse bête ridicule et sympathique n’était autre qu’un Bernard l’Hermite et il voulait tout simplement que je dégage l’entrée de notre lanterne!

“Et bien répond! C’est à toi, ici?”

“Oui, mais pas qu’à moi…”

“Oui ou non? Je n’ai pas de temps à perdre, Petit! La nuit arrive et je n’ai toujours pas de lit!”

“C’est chez nous, je veux dire, chez mon ami Vini et moi, mais tu peux rentrer…”

Il m’étudia un instant, sans se défaire de sa mauvaise humeur et brusquement:

“Mais, tu ne serais pas le petit à qui le coq a jeté un sort? C’est le Maramù qui nous a prévenus et nous voulons tous t’aider à retrouver l’esprit. Vu ma position, je suis le premier informé des rumeurs qui courent les vagues et tout porte à croire que ton esprit est prisonnier de la mer… Mais attention, c’est un malin : Il a du se déguiser pour qu’on puisse pas le trouver ! Le meilleur moyen serait de te renseigner sur le récif: les nouvelles s’y répercutent comme sur un tambour… Tiens, monte, je vais t’y emmener sur la prochaine vague.”

Grimper sur le dos d’un Bernard L’Hermite n’est pas une expérience comme les autres: Ça pique! Ça bascule! Ça chavire!

Bref! Heureusement que le récif était tout près! Je sautai à terre, l’estomac au bord des lèvres et tandis que mon compagnon s’ébranlait déjà pour regagner le rivage, je l’appelai:

“Préviens le Vini et ne vous inquiétez pas! Je reviendrai dès que j’aurai libéré l’esprit.”

Et me voilà tout seul sur les rochers à me demander dans quelle direction aller…


(à suivre...)

Chapitre 4

Tout seul… ou presque. Car penché sur le récif, à regarder la mer, il y a un chien.

Un vieux cabot hirsute et plein de poils qui ne m’a pas remarqué.

Je m’approche.

“Sale boulot!” grogne-t-il dans sa barbe, “encore à se faire pouponner!”

“Qui donc?”

“HMMMM?” Bien qu’il m’ait entendu, le vieux chien pêcheur est bien trop occupé à surveiller l’eau pour se retourner.

Je me risque à insister:

“Qui se fait pouponner?”

“Le Ro’I! Ca fait des heures que je l’attends pour le débarasser de ses poissons parasites! … Délicieux d’ailleurs, je t’en ferai goûter!”

Le chien s’est enfin retourné:

“Tiens, tiens, tu pourrais bien faire l’affaire, toi!” dit-il en me mesurant du regard.

Là, j’ai eu la peur de ma vie! Je n’avais pas fait tout ce chemin pour lui servir de dîner! J’allais m’enfuir sans demander mon reste, quand il précisa:

“Petit comme tu es, tu peux plonger entre les rochers. Tu pourrais aller voir si le Ro’I est là!”

Je préférais risquer ma peau dans l’eau que finir en chair à patée! Aussi, je remplis mes poumons d’air et sautai dans l’eau foncée.

Léger comme une amande, je ne m’enfonçai pas plus de quelques pouces. Une algue qui pointait sa tête vers moi me servit de corde pour descendre vers les coraux qui tapissaient le sable.
Autour de moi, la lumière du jour faisait place à des formes inquiètantes.

Mon coeur battait à tout rompre et j’étais persuadé que tous les poissons pouvaient m’entendre! Il leur suffisait d’être un brin curieux pour me gober comme une bulle de soleil ou un morceau de pain.

Il fallait me faire tout petit! J’allais me réfugier dérrière une fleur de corail où j’attendais de me faire à l’obscurité.

En quelques secondes, les formes se précisèrent.

Non loin de moi, un poisson monstrueux était stationné près d’une anémone. C’était le Ro’I! On aurait dit le truck du ramassage scolaire! Devant lui était garé un rouget et, attendant dérrière lui, deux Rari bavardaient dans le courant.

Quant au poisson parasite, il dormait comme un bienheureux sur le dos du Ro’i.

Dans ma surprise, j’ouvrai la bouche et, comme vous vous en doutez, l’eau s’y engouffra si brusquement que je crus ma dernière heure arrivée!

Allais-je me noyer avant même d’avoir retrouvé l’esprit du Coq?

Après avoir étouffé, toussé à m’en arracher les poumons, une fraîcheur me pénétra tout entier!

Je ne pouvais y croire: non seulement je parlais Coq, Vini, Bernard L’Hermite, Chien, mais voilà qu’en plus, je respirais sous l’eau!

Décidement, il n’y avait pas que du mauvais dans le sort que le coq m’avait jeté!

Chapitre 5

Ainsi donc, je respirais dans l’eau! Il ne m’en fallut pas plus pour reprendre courage. Mais je n’eus pas trop le temps d’essayer ma nouvelle découverte.

En effet, le rouget céda sa place au Ro’I qui, d’un rapide coup de queue, vint assombrir ma cachette de son ombre gigantesque.

Oubliant toute prudence, je lachais la fleur de corail où je m’étais réfugié et fus impitoyablement emporté par le courant.

Les machoires grandes ouvertes du Ro’I allaient-elles être ma dernière demeure?!

Lançant mes bras dans tous les sens, je m’imaginais déjà broyé par les dents puissantes que je voyais défiler!

Lorsque quelqu’un m’attrapa par le col de ma chemise.

“Au lieu de t’amuser, Petit, donne-moi un coup de main! Je suis tout seul et c’est pas le travail qui manque ici!”

Une crevette! C’était une crevette! Et par quel miracle était-elle encore vivante parmi ces dents puissantes?!

Elle m’entraîna par la manche vers les molaires du Ro’I:

“Tiens, fais le fond, pendant que je m’occupe de la devanture! C’est qu’il est exigeant le client!”

Une station de nettoyage! J’étais devenu dentiste pour poissons! Et croyez-moi, ça n’était pas un travail facile!

Ça glissait, ça sentait mauvais, les déchêts se détachaient des dents et volaient sur ma figure!

“Dramatique…” constata la crevette en secouant ses pinces pour les débarasser des saletés gluantes qui s’y collaient! “Encore heureux qu’il y ait le poisson parasite pour entretenir la façade!!…”

Puis, voyant que les clients suivants s’échappaient vers les grands fonds:

“Ah! Je crois qu’on va fermer… Les pêcheurs ont du sortir leurs filets… Heureusement, en fin d’après-midi, j’ai ma cliente préférée: Une vieille dame rigolote qui ne bouge pas de chez elle. Viens, je t’emmène. Tu verras, elle n’arrête pas de rigoler!”

D’une tape sur la dent qu’elle venait de nettoyer, la crevette avertit le Ro’I que le travail était fini et il referma ses terribles machoires tandis qu’elle astiquait son nez.

“Merci, c’est du bon travail! Je t’emmène quelquepart?”

“Oui, aux Grottes Vertes, s’il te plait!”

Et, perchés sur la queue majestueuse du Ro’I, on s’engagea dans le corail, prenant des racourcis par-ci, des contre-courants par-là.

Les quartiers qu’on traversait n’étaient pas trop habités, mais, bientôt, le Ro’I dut ralentir: On devait être au coeur d’une ville, car il y avait des poissons partout et on pouvait à peine bouger!

Ceux qui bavardaient sur le seuil de leur maison durent se ranger sur le côté pour nous laisser passer.

Après quelques tournants, des ruelles enchevêtrées, nous nous arrêtâmes au pied d’une haute paroi verte:

Nous étions enfin arrivés.

(à suivre)

chapitre 7

L’eau qui dégoulinait de mes cheveux dans mes yeux m’empêchait de voir et je me crus un instant débarqué dans la gueule d’un dragon!

En effet, le récif allongeait ses dents noires sur le feu rougeoyant du crépuscule!

Etait-ce un présage?

Il est vrai que je n’étais pas très pressé de quitter l’eau pour tomber entre les crocs du chien pêcheur! Surtout s’il me fallait lui annoncer que le Ro’í était parti depuis longtemps avec son poisson parasite!

A mon grand soulagement, ça n’était pas le chien pêcheur qui m’attendait sur le récif, mais un petit bonhomme tout souriant.

Pieds nus sur le rocher, il aurait pu être un enfant sans tous les tatouages magnifiques qui couraient sur son corps. De plus, son front large, ses longs sourcils gris, la brousse emmêlée de ses cheveux étaient ceux d’un homme âgé.

“Je t’attendais pour te remercier!” me dit-il dans un souffle que je pris pour le vent. Mais il n’y avait pas de vent.

« Je ne pouvais pas la quitter parce que je savais l’amuser ! C’est important d’amuser... »

Et il me tendit sa main fine et noueuse comme la tige des arbres. Mais lorsque je l’attrapais, je ne sentais rien dans mes doigts.

On ne touche pas les esprits, ce sont eux qui nous touchent…

Je me sentais plein de calme et admirai le ciel rose et bleu qui brûlait sur
L’horizon.

Soudain, un des rouleaux qui s’abattaient sur le récif prit une couleur émeraude et étincela sur la mer comme une lance brandie par un monstre marin!

Je ne me retournai même pas pour prendre l’esprit à témoin: je savais que c’était lui que je voyais partir sur l’horizon…

Je l’avais libéré.

Epuisé, j’allais m’endormir dans le chuchotement de la brise, lorsque :

“Teva! Ohé! Téva!”

Je sursautais et cherchais des yeux sur la plage: Le Bernard l’Hermite m’y attendait au bord de l’eau, la grosse lanterne rouge hissée sur son dos.

Mon ami Vini était perché au sommet et m’appelait en agitant ses ailes:

“Il faut rentrer! Vite! Es-tu prêt?”

(à suivre)